ET APRÉS ? Dessiner son jardin - Le moteur de l'intellect - Les piliers de la doctrine - Le soi et sa clé poétique - Physique et Nature - Formes et morphogénèse - Bachelard toujours - Un bonus.
Dessiner son jardin
Le vrai sujet de ce blog c'est l'étude, une démarche autodidacte, donc libre et volontaire, s'appuyant sur un certain savoir philosophique et littéraire, visant à émanciper l'intellect et à permettre à l'âme de recouvrer son berceau naturel. Il s'agit ici de témoigner de cette partie de l'existence qu'on pourrait qualifier de théorétique, faite à la fois de contemplation et d'exigence intellectuelle.
Dans un tel parcours, le temps passé à choisir les livres en fonction de son objectif personnel est essentiel pour éviter les impasses et l'enlisement. C'est pourquoi il était important de rendre compte de tous les jalons du parcours, y compris des erreurs et des fausses pistes. Une façon pour moi d'exprimer par défaut mes attentes. Une manière détournée d'autographie.
On pourrait donc continuer à trouver ici le journal du lecteur, qui relaterait très concrètement son parcours dans les livres et sa façon d'en user avec eux. Sa bibliothèque, qui ne se réduit évidemment pas à la dernière sélection qu'on peut voir sur la photo, contient beaucoup plus d'ouvrages qu'il ne peut en lire, y compris de philosophie. Et pourtant, chaque jour, il est tenté de la compléter avec des livres suggérés par d'autres livres et sans lesquels il se persuade qu'il manquerait un point essentiel dans son étude en cours.
Moi le lecteur, il y a des périodes où je me perds dans les livres au point même d'avoir envie d'abandonner l'étude et la construction du message personnel, objet de ce blog d'écriture. Ce fut le cas après le bilan, au demeurant positif, de la phase précédente. J'étais perdu. Si je me sens capable d'en parler maintenant c'est que j'ai l'impression d'avoir dépassé cette période de stase, sans savoir toutefois comment la prolonger.
Le Testament philosophique et l'essai sur l'écriture du soi forment ensemble un abrégé du précédent Journal du lecteur que je peux porter durablement en moi sans perdre de vue les idées qui le structurent et qui sont solidaires les unes des autres. Je pourrais m'en tenir à cette doctrine personnelle, signe d'une finitude consentie. Le Testament, j'en suis convaincu, peut me porter jusqu'à la fin, tel que je suis, et entretenir l'état de quiétude en éveil qui s'est installé au fil de l'enquête et qui était mon but utile.
Oui, je peux maintenant cultiver mon jardin, en jouir pleinement par l'observation au fil des saisons et des années et le dessiner. Il y a si longtemps que je veux apprendre à bien le dessiner. Il y a là, j'en suis persuadé, une voie d'accès complémentaire, peut-être la seule à ma portée dorénavant. Mais il faudrait une totale disponibilité d'esprit pour en faire autre chose qu'un passe-temps ou un délassement. Il y a des moments où je pense que les billets de ce blog devraient peu à peu évoluer vers une vision picturale de mon microcosme, donc en premier lieu du jardin et de ses plantes. Ce serait pour moi une forme de réussite.
Le moteur de l'intellect
Mais à côté de l'acceptation de ma finitude, telle que circonscrite par le Testament, il y a le moteur de l'intellect qui impose ses propres exigences. Le parcours précédent m'a certes installé dans ma pensée comme dans un nid douillet mais il m'a aussi dévoilé des perspectives, m'a suggéré des pistes pour mieux comprendre. Il m'invite à repousser un peu plus la frontière de mes intelligibles.
Deux manières d'aller plus loin s'offriraient alors à moi: l'organique et l'analytique, l'organique visant à ne jamais dissocier les composantes de la doctrine personnelle et à rechercher au contraire le moyen d'en accroître la solidarité en les rapportant à ma propre existence ou à d'autres existences, exemplaires celles-ci; l'analytique en étudiant chacune des notions séparément par la méthode philosophique afin d'en approfondir le sens et d'en maîtriser les variations et interprétations.
Il me faudrait écarter l'approche analytique. Rappelons les principales notions impliquées: la personne; la matière et son antithèse; les invariants universels; les formes et la morphogénèse; l'âme; l'amour et l'altérité; l'interlocution; le sujet-objet; la connaissance apophatique; la croyance. Un inventaire de mots attendant d'être mis en relation dans un grand organigramme vivant, une personne par exemple, moi bien entendu. Les traiter studieusement comme des entités séparées au moyen de traités spécialisés m'apparaît comme vain et même comme une véritable entreprise de dénaturation et de dévitalisation.
Resterait donc la voie organique. Deux approches possibles:
(1) comparer en toute immodestie ma doctrine aux grandes doctrines philosophiques, à commencer par l'épicurienne, la stoïcienne et la chrétienne, examiner si des thèmes analogues s'y retrouvent, s'associent et forment système. Prendre en considération notamment les trois piliers des doctrines antiques et médiévales: canonique, physique, et éthique. Ou bien:
(2) considérer la personne comme le siège du rapatriement et de l'enrichissement, le seul lieu où puisse s'édifier, pas à pas et de manière continue, une doctrine originale, idiosyncrasique, de l'existence. Il existe ainsi des autobiographies philosophiques, sous forme de livres ou plus simplement d'articles, dans lesquelles les auteurs restituent et rassemblent de manière rétrospective le progrès de leur pensée depuis le moment de l'éveil jusqu'à l'accomplissement. J'aimerais pouvoir rencontrer ce type de témoignages chez des philosophes contemporains qui n'ont pas été anesthésiés par la recherche académique, les exemples classiques étant le Nietzche de Ecce homo et l'Augustin des Confessions.
Le soi et sa clé
J'ai beaucoup réfléchi à l'option autobiographique qui est la plus créative et de loin la plus difficile. Elle s'apparente pour moi à un véritable exercice spirituel. Elle n'a pas le caractère didactique de l'approche (1). Outre les principes exposés dans l'essai sur la mémoire du soi, elle ne semble intéressante à écrire (donc à lire) qu'à condition de disposer d'une clé poétique personnelle, l'empreinte de soi dans le langage. Quelle que soit ma capacité à trouver cette clé littéraire, il s'agirait d'une écriture tellement expérimentale que je ne peux pas en faire un sujet de blog. Je ne renonce pas pour autant à cette écriture si, en plus de la fameuse clé, je parviens à identifier plus clairement l'Interlocuteur ultime, qu'ailleurs je nomme Cela Il me semble que Cela et la Clé se confondent, ou, plus exactement, que la vie en moi de Cela est la Clé. En somme quand l'inconnaissable devient le familier.
Les piliers de la doctrine
Resterait donc essentiellement l'option (1), la comparaison avec les grandes doctrines, mais sans trop les disséquer, c'est-à-dire en respectant les trois piliers qui en soutiennent l'architecture: canonique, physique, éthique. Une structure tripartite qui se retrouve, de manière d'ailleurs équilibrée, dans ma propre doctrine:
(a) Canonique: réception du monde par le sujet-objet, connaissance apophatique, croyance.(b) Physique: matière et antithèse, invariants universels, formes et morphogénèse.
(c) Éthique: personne, âme, amour, altérité, interlocution.
Ce qui précède est rassemblé dans le schéma suivant (cliquer pour agrandir):
Il faudrait commencer par la physique car, dans ma doctrine, comme dans les grandes doctrines antiques, c'est la colonne vertébrale du système. C'est la Nature, l'ancienne Phusis, ce qu'en dit la science et ce que l'homme individuel en retient, son microcosme et son macrocosme, ce qui rassemble les autres composantes du système, selon le principe stoïcien de contagion des choses, et les fait tenir ensemble.
Physique et Nature
Je ressens comme une priorité de mettre les notions physiques de ma doctrine à l'épreuve des données de la science contemporaine, notamment en physique et en cosmologie, disciplines qui, en tant que biologiste, me sont moins familières. Je ne conçois pas qu'une croyance, qu'elle soit de nature métaphysique ou religieuse, ne prenne pas en compte les connaissances du temps où elle est énoncée. Il s'agit bien d'une mise à l'épreuve selon des critères de plausibilité ou simplement de non-réfutabilité. L'esprit qui persiste à se reposer sur une conception scientifiquement erronée du monde naturel ne peut pas être tranquille. Ce premier volet de l'étude se place donc dans le domaine de l'épistémologie et de l'histoire des sciences.
Difficulté principale: identifier des ouvrages d'un niveau approprié de vulgarisation scientifique et choisir les plus pertinents d'entre eux. A ce stade de mon parcours (fin novembre 24), je démarre l'étude de certains chapitres de l'ouvrage de référence, publié en 2002: "Philosophie des sciences" de Daniel Andler, Anne Fagot-Largeault et Bertrand Saint-Sernin (2 tomes). J'ai déjà pratiqué cet ouvrage dont l'un des nombreux mérites est d'aborder les épistémologies dites régionales (physique, biologie, médecine, sciences cognitives etc..) avec un souci de transversalité et en s'appuyant sur une solide charpente bibliographique. Je considère cet ouvrage comme la porte d'entrée qui me permettra de repérer quelques références complémentaires.
J'ai suivi il y a quelques années les cours en ligne de Anne Fagot-Largeault au Collège de France. Elle est l'une des guides auxquels je continuerai à me référer en confiance, comme à Pierre Hadot (philosophies antiques) et Alain de Libera (philosophies médiévales), également professeurs au Collège de France. Un détail en passant: mon exemplaire de Philosophie des sciences se trouve avoir été dédicacé par les trois auteurs (mais pas à moi !).
Entre autres propositions, cette lecture m'invite à retenir quelques ouvrages explicitant certains types de philosophies de la nature. Parmi elles il y aurait L'évolution créatrice de Bergson, ouvrage majeur que j'ai gardé pour la bonne bouche après avoir étudié, résumé et commenté tous les autres du même auteur (Voir mes résumés commentés).
Qu'est-ce que j'entends par pertinence, s'agissant d'ouvrages d'épistémologie ou d'histoire des sciences ? J'attends qu'ils me présentent d'une manière accessible les grands concepts de la science à partir de la fin du XIXè siècle (essentiellement dans l'ordre physique et celui du vivant) de manière à: (1) m'assurer que je ne dis pas de bêtises dans le testament philosophique, c'est-à-dire que ces ouvrages ne fragilisent pas, sur des bases scientifiques établies et selon des critères de plausibilité ou de non-réfutabilité, certains éléments de ma croyance (je revendique ce mot); (2) enrichir ou nuancer cette croyance au plan des idées générales (et non pas dans les détails et les subtilités de la culture scientifique, y compris en philo des sciences). C'est dire que je ne ferai qu'écrémer quelques ouvrages - plus probablement des chapitres d'ouvrages - en n'y prélevant que l'indispensable.
Mon propos me ramène toujours en effet au confluent de trois domaines : la science, la métaphysique et la poétique. En ceci je suis probablement semblable à tous ceux qui lient la philo à l'existence.
Formes et morphogénèse
A l'intérieur du pilier physique de ma doctrine, le thème des formes naturelles, lié à celui des invariants universels, a pris une place essentielle. C'est une notion unificatrice qui déteint sur toutes les autres. Je l'aborderai à la fois sous l'angle de la philosophie des sciences et sous celui de la poétique.
Pour le premier de ces deux volets, voici quelques livres intéressants que j'ai identifiés comme sources possibles d'informations et d'idées, ceci à partir de l'ouvrage de philosophie des sciences mentionné plus haut, notamment dans son chapitre consacré précisément à la Forme:
J. PETITOT La forme, article Encyclopedia Universalis.
A. BOUTOT (1993) L'invention des formes.
J.W GOETHE (1790, 1817) Essai sur la métamorphose des plantes.
A.W. D'ARCY THOMPSON (1917, 1942) On growth and form.
A. PORTMANN (1948) La forme animale.
Pour le volet poétique (et esthétique), le livre d'érudition de Pierre Hadot, Le voile d'Isis, Essai sur l'histoire de l'idée de Nature (2004), issu d'un cours du Collège de France, a l'intérêt majeur de fournir un accès à la bibliographie sur le thème de l'histoire des idées sur la Nature et la création des formes naturelles. Cet ouvrage a déjà fait l'objet d'un court billet.
Voici les ouvrages contemporains que j'ai retenus dans un premier temps, certains comme ceux de Tuzet et de Brisson pouvant faire la liaison entre les deux volets:
D. JANICAUD Une généalogie du spiritualisme français.R. CAILLOIS (1962) Esthétique généralisée.
H. TUZET (1965) Le cosmos et l'imagination.
L. BRISSON (1991) Inventer l'univers: le problème de la connaissance et les modèles cosmologique.
J.P. LUMINET (1996) Les poètes et l'univers Anthologie.
Et les classiques, évidemment:
LUCRÉCE De natura rerumVIRGILE 6è églogue
OVIDE Les métamorphoses
HUMBOLDT Kosmos
POE Eureka
CARUS et FRIEDRICH Neuf lettres sur la peinture de paysage
RAVAISSON Le testament philosophique et autres œuvres dont l'article "Dessin" dans le dictionnaire pédagogique de Henri Buisson, 1882.
CLAUDEL Art poétique
KLEE Théorie de l'art moderne
FOCILLON La vie des formes
Bachelard toujours
J'adjoindrai à cette partie consacrée au logos poétique sur les formes de la nature et leur création l'imaginaire de la substance et des éléments naturels qui est l'objet de mon étude en cours de Bachelard. J'ai déjà étudié presque tout le corpus de ses œuvres sur le thème (voir mes résumés commentés). Il me reste à compléter avec La terre et les rêveries du repos et La terre et les rêveries de la volonté. Dans la synthèse que je tenterai de faire de tous ces ouvrages de Bachelard, je mettrai précisément l'accent sur le logos poétique. Je vois en effet l'ensemble comme un formidable répertoire de signes qui relient le microcosme humain au macrocosme, même si ce n'est pas ainsi que Bachelard a choisi de le présenter. Le legs de Bachelard est immense, presque surhumain. Il a été exploité par une certaine critique littéraire de la deuxième moitié du XXe siècle. Mais ce legs attend la synthèse (doctrine, testament) que Bachelard a, ce me semble, toujours ajournée.
Si jusqu'ici j'ai abordé uniquement le Bachelard de l'imagination poétique, Bachelard pourrait évidemment rester ma référence centrale également pour les philosophies des sciences et de la nature que j'ai présentées plus haut. Cette partie de son œuvre accompagne toutes les découvertes des sciences modernes jusqu'à la moitié du XXe siècle dans les domaines de la physique et de la chimie essentiellement. Je pense notamment à la relativité et à la mécanique quantique. Lui rester fidèle en tout, et jusqu'au bout, aurait le mérite de la cohérence. Me glisser dans sa peau, sans aller chercher ailleurs, pour cette partie prioritaire de mon projet. Imaginer la doctrine philosophique qu'il n'a jamais écrite, toujours appelé qu'il était par l'étape à venir, par le manque à combler.
Un bonus
Ce programme d'étude à l'impossible totalité émane d'un moi qui hante la conscience jour et nuit. Je ne pouvais pas ne pas lui faire une place dans ce blog. Quand je l'envisage dans son ensemble je doute qu'il soit à ma portée. Il n'est pas seulement question ici du temps qu'il me reste, mais aussi de la disproportion entre la projection de moi qu'elle suppose et les moyens intellectuels dont je dispose pour y atteindre. Il m'arrive de me comparer au Louis Lambert de Balzac que la folie guette puis finit par emporter: obsession de repousser à l'envi les limites de l'intelligibilité, tension monstrueuse de l'esprit, recentrement paradoxal sur soi, et, au quotidien, un certain esprit de sérieux qui me ferait oublier d'aimer, de rire et de danser. Alors que l'objectif est, à l'exclusion de tout le reste, de permettre à l'écriture personnelle d'exercer sa fonction libératrice.
Tout devrait au contraire contribuer à m'apaiser. J'ai en effet compris que l'étude philosophique était parvenu à un certain état d'achèvement, après une dizaine d'années consacrées à remettre de l'ordre dans mes pensées. Je dispose désormais d'une signification acceptable de ma vie. Le présent peut reprendre ses droits, sans regard en arrière ni frustration de ne pas être autre. Les modèles intellectuels qui ont accompagné mon existence ces dernières années m'ont permis de définir mes limites personnelles, ma finitude. La suite est un bonus que m'autorise la vie. Je ne veux en faire ni un défi ni une remise en question.
Aussi inépuisable qu'il soit, ce projet consacré à la physique de la doctrine et à ses implications esthétiques et poétiques, formera la toile de fond de la prochaine étape du blog. Comme précédemment j'avancerai pas à pas, en espérant qu'une nouvelle synthèse personnelle puisse se faire à terme, un terme probablement éloigné.