PHYSIQUE, POÏÉTIQUE et ÉTHOS : UN PROGRAMME DE LECTURE - LES SOURCES ET LES POSSIBLES - LA CONSCIENCE HORS SOI - LE JARDIN DU LECTEUR - LE SUJET QUI PARLE - CONTRE-MODÈLES - EN ABYME.



Paul Klee, La flore sur sable, 1927 - Wahooart.com

Mars 2025

Déclinaison en livres des trois phases s'imposant au Lecteur à ce moment précis de son parcours: "Physique, Poïétique, Éthos". Ces trois phases  - on pourrait dire ces trois piliers - doivent concourir à l'approfondissement de la doctrine personnelle  telle qu'elle s'est stabilisée dans le Testament philosophique. Mais l'ensemble est symphonique (un en trois) contrairement à l'image qu'en donne la présentation qui suit. Les livres s'interpelleront les uns les autres. Le plus important c'est la fin, l'éthos, l'air qu'on respire. Les autres livres ne font que la préparer.

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PHILOSOPHIE DES SCIENCES

Les métaphysiques du vivant.

A. FAGOT-LARGEAULT

Cours du Collège de France. 

(2002-2003) : L'explication dans les sciences de la vie et de la santé. Notamment: Forme et Téléologie.

(2006-2009) : Ontologie du devenir (1, 2 et 3).

Ouvrages

Philosophie des sciences (2002), notamment le chapitre L'émergence.

Ontologie du devenir (2021).

SCIENCES PHYSIQUES

Connaissance et croyance sur la nature du monde physique.

M. BITBOL
(1992) La nature et les grecs, introduction à l'ouvrage de Schrödinger.
(1996) Mécanique quantique, une introduction philosophique.
(2005) Physique et philosophie de l'esprit.
(2019) Maintenant la finitude. 

B. D'ESPAGNAT
(1994) Le réel voilé, analyse des concepts quantiques.
(2002) Traité de physique et de philosophie.
(2008) Candide et le physicien.

PHILOSOPHIE DE LA NATURE - POÏÉTIQUE ET ESTHÉTIQUE

Les logos de la création.

CONTEMPORAINS

H. FOCILLON (1934) La vie des formes
R. CAILLOIS (1962) Esthétique généralisée.
H. TUZET (1965) Le cosmos et l'imagination.
D. JANICAUD (1969) Une généalogie du spiritualisme français.
L. BRISSON (1991) Inventer l'univers: le problème de la connaissance et les modèles cosmologiques.
J.P. LUMINET (1996) Les poètes et l'univers Anthologie.
P. KLEE (1998)Théorie de l'art moderne

NON CONTEMPORAINS

LUCRÉCE De natura rerum
VIRGILE 6è églogue
OVIDE Les métamorphoses
HUMBOLDT Kosmos
POE Eureka
CARUS et FRIEDRICH Neuf lettres sur la peinture de paysage
RAVAISSON Le testament philosophique et autres œuvres dont l'article "Dessin" dans le dictionnaire pédagogique de Henri Buisson, 1882.
CLAUDEL Art poétique

Mon étude en cours sur le BACHELARD de la poétique des éléments naturels (voir mes Résumés des ouvrages) prend tout naturellement sa place dans cette rubrique. Pour la parachever, j'envisage non pas une synthèse globale mais quelques tableaux mettant en scène de manière chorégraphique certains des caractères, figures et signes identifiés par Bachelard, - lesquels sont dissociés et dispersés dans ses essais à visée délibérément analytique. J'essaierai d'y percevoir à l'œuvre la fonction poïétique dévolue par les présocratiques aux éléments naturels. Pour cette raison, il me paraît important de lire d'abord les autres œuvres de cette section.

ÉTHOS  

Descendre pour monter, concilier les opposés, retourner à la source.

DOCTRINES ANTIQUES jusqu'à PLOTIN selon P. HADOT
ECKHART selon A. DE LIBERA 
DE CUES selon M. DE GANDILLAC

TAOÏSME - QUIÉTISME selon J. GRENIER.

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BERGSON, que j'ai étudié fort sérieusement, (voir mes Résumés de ses ouvrages) est très présent dans les trois volets de ce programme. Rétrospectivement, je ne m'étonne plus de l'avoir adopté comme guide dès le début de mon parcours. Son vitalisme, son spiritualisme et ses affinités avec Plotin me le rendent toujours aussi sympathique. Je vois maintenant assez distinctement comment le célébrer: sous la forme, modeste et toute personnelle, d'exercices d'admiration. Il est important de ne pas me hâter afin de me nourrir auparavant des lectures des trois volets du programme.

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En composant pour les années à venir ce programme de lecture à trois volets complémentaires (physique, poïétique, éthos) le lecteur opte spontanément pour le TOUT. Autrement dit l'esprit se veut toujours radicalement accueillant aux idées, réticent à faire le tri définitif, à emprunter quelque porte étroite que ce soit, contrairement aux prescriptions des sagesses religieuses ou profanes.

Cette option n'est pas un signe d'atermoiement ou d'inconséquence mais bien d'engagement et de résistance. Le lecteur  a compris, après un long débat intérieur, que son progrès spirituel est conditionné à (1) la réception des opposés, (2) la restauration des possibles, (3) l'alternance entre montée et descente, entre conversion et procession, et enfin (4) à l'indifférence foncière au salut personnel. Ces quatre tendances forment un tout. Il les a laissé s'imposer en lui ces dernières années sans forcer en rien leur avènement. Elles étaient faites pour se rencontrer. C'est bien là le résultat d'une libération intérieure. 

Le programme de lecture a bien pour but d'accompagner le mariage des quatre tendances. Il est bien fondé sur le retour aux sources et aux possibles, tant au point de vue de la physique (vie et matière) que de la poïétique (co-naissance du verbe et de la nature) et de l'éthique (les sources antiques, médiévales et taôistes de la spiritualité). 

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Un mois plus tard...

Le lecteur d'un tel programme risque de se perdre s'il ne circonscrit pas son propos, surtout si l'écriture doit continuer à prolonger la lecture. La limite et la perspective étaient définies antérieurement par le projet existentiel lui-même. Tout était rapporté au soi vivant. Mais le lecteur ne désire plus être au centre de son propos car cet enjeu est dépassé (voir testament philosophique). Il  reste bien une conscience qui cherche à s'exprimer (laquelle ?), mais elle semble relever d'une autre solidarité que celle du soi. Elle aspire à se fondre en un ailleurs. 

Pour témoigner en dehors du lieu clos qu'est le je existentiel il faudrait donc habiter un monde à mesure humaine où sont préservés les points cardinaux, la texture et les proportions du macrocosme. Y habiter et progressivement s'identifier à lui. Cette réduction fidèle du macrocosme - où les Idées du programme, ceux/celles qui les représentent, continuent de vivre et d'interagir - pourrait être le jardin du lecteur, lieu sans lequel toute chose ne ferait que deux p'tits tours puis s'en irait, sans avoir lieu ni occasion.

Comme je l'avais déjà pressenti (voir le journal du lecteur), l'intellect humain qui ose aller jusqu'au bout de son enquête construit pas à pas une image de ce monde idéel dont Platon disait qu'il était le monde réel. Certes cette image du monde auquel aboutit la vie contemplative, la vie théorétique, reste empreinte d'une certaine forme d'individualité mais je la crois détachable de la personne qui pense et qui s'exprime. Je fais donc le pari que le scénario intellectuel qui s'est déroulé ici pourra progresser dans le jardin que nous avons créé et imaginé ensemble.

LE JARDIN DU CLOS SAINT GILLES

Mais quelle est exactement l'instance qui témoignera désormais si ce n'est plus le sujet existentiel, le soi retourné sur le soi ? Qui cherchera ici à faire entendre sa voix ? Une conscience toujours, mais laquelle et d'où ? Ces questions font partie de l'enquête à venir. La question du sujet (qui lit et qui parle ?) est d'ailleurs si importante qu'elle remet partiellement en cause l'esprit dans lequel le programme de lecture ci-dessus a été conçu. Lorsque je l'ai élaboré j'étais encore imbu de la nécessité d'enrichir et de parachever la doctrine personnelle, fruit de la culture, de la réflexion et de l'expérience combinées. De construire en somme une éthique raffinée, confectionnée à mon image et à mon usage, comme un cocon destiné à la dessication. 

Je décrète désormais dépassée toute éthique où le soi ne serait pas dépassé. A la fin du testament philosophique je m'étais abandonné avec complaisance à des considérations mystiques, voire dévotes, sur la recherche de l'ultime interlocuteur, un appel qui m'apparaît maintenant comme le signe d'une solitude spirituelle sans issue, rapportée pathétiquement au dernier reste du soi: l'exuvie de la dernière mue. Pour cette raison même, l'introduction de mystiques comme Plotin et Eckhart dans le programme me semble à présent suspecte. Car chez ces deux-là la cible s'identifie au soi, envers et contre tout, et malgré toutes les contorsions de l'âme pour y échapper. Je conserverai mes deux mystiques mais comme contre-modèles. J'imaginerai leur dernière rupture.

L'éthos (et non l'éthique) reste néanmoins essentiel, non pas comme une bulle dans laquelle le sujet se nourrit de lui-même, mais comme un milieu réactif dans lequel tout restera toujours possible. Dans ce contexte, mon appréciation antérieure des deux grandes éthiques classiques centrées sur la personne que sont le stoïcisme et l'épicurisme doit être revue. Je conserve Épicure et Zénon comme références à discuter. La curiosité intellectuelle pour le taoïsme, vaguement exprimée dans le Testament, en sort peut-être renforcée, mais il faudra que Lao et Tchouang acceptent, eux aussi, de s'exposer dans le Jardin.

Certains de mes billets à venir tenteront de préciser la nature et la fonction du Jardin, lieu habité, métaphore de l'âme, où se jouera plus tard l'intrigue mettant en scène les représentants de Physique, Poïétique et Éthos. La matière est riche et j'aurai besoin de temps pour construire un message pertinent. Qu'elle soit impressionniste ou synthétique, érudite ou émancipée de ses références, mon approche sera en tout cas hédoniste, patiente, susceptible d'être partagée. Le jardin, création en abyme, image d'image d'image, lieu d'accueil pour une conscience délivrée du moi et peut-être même du soi

Avril 2025

Complément du 19/05/25

Une fois écrit le texte qui précède, je me suis avisé qu'un certain nombre des motifs qui y sont orchestrés se retrouvaient dans l'œuvre de Carl G. Jung, en particulier l'idée, qui me tient particulièrement à cœur, d'un "soi" isolable du "moi" et de la personne individuelle et relié à la source immémoriale. A ce point essentiel s'ajoutent l'intérêt de Jung (1) pour la nature du monde physique à la suite de plusieurs décennies d'échange avec le grand physicien Pauli: (2) pour l'imaginaire des éléments naturels (alchimie), thème qui l'associe directement à Bachelard dont il est un des inspirateurs; et (3) pour la philosophie taoïste. Jung me semble donc être au centre de mon propos et l'étude critique, conduite à mon humble niveau, sur les trois points ci-dessus devrait me permettre de faire progresser ma réflexion d'ensemble.

Par ailleurs, toujours soucieux que l'analyse intellectuelle ne m'éloigne pas trop de l'objectif de rassembler les idées au service d'un projet personnel, je centrerai résolument ma méditation sur l'éthos sur Plotin (vu par Hadot). J'ai en effet découvert récemment que Bergson avait fait un cours entier sur Plotin au Collège de France et que son œuvre est empreinte de son influence. En mettant le couple Plotin/Bergson au centre du thème de l'éthos, cela me donnera peut-être l'occasion d'y rapatrier aussi ce philosophe pionnier du courant spiritualiste français de la seconde moitié du XIXe qu'est Félix Ravaisson

Dans ce même thème de l'éthos, où le choix personnel d'une croyance prend tant d'importance, je comparerai de manière plus claire qu'indiquée plus haut les doctrines antiques jusqu'à Plotin à des conceptions scolastiques tardives et considérées comme audacieuses, à la limite de l'hérésie mais néanmoins contraintes, comme celles de Eckhart et de de Cues. J'y argumenterai l'excellence d'un syncrétisme personnel à forte base épicurienne tout en pointant les impasses intellectuelles auxquelles finissent par conduire, selon moi, les croyances corsetées par le dogme. J'y privilégierai une vision chorégraphique de l'âme, constituée de poses et de mouvements.

Enfin je prévois de découper le programme d'ensemble en trois cycles sensiblement annuels. Le cycle n'est pas constitué par l'un des trois volets thématiques ci-dessus (physique, poïétique, éthos),  mais par l'intégration de thèmes empruntés aux trois volets. Chaque cycle annuel devra, d'une certaine manière, se suffire à lui-même, c'est-à-dire procurer la cohérence que j'attends d'une conception d'ensemble. C'est pourquoi dès le premier cycle j'essaierai de décrire le jardin mental qui sera sensé symboliser ce tout.