LE LECTEUR ET JUNG (2): JUNG ET BACHELARD - Les valeurs sûres - La culture des archétypes - Libres satellites - Phénoméniste - Les archétypes cosmologiques
Je continue ma lecture désordonnée non pas de Jung mais autour de Jung: la portée de ses idées sur l'inconscient, les archétypes, le soi amplifié, le psychoïde, la nature du monde, etc.. Mon retour à Jung, retour superficiel et non autorisé, se justifie par l'impression qu'il propose des solutions à des interrogations qui sont les miennes depuis des années et que je retrouve chez d'autres penseurs vers lesquels mon souci d'intellection me porte tout aussi spontanément. Mon propos est essentiellement comparatif. Comprendre les analogies et les nuances entre des pensées qui convergent vers moi. Je répète que mes lectures sont des prédations destinées à nourrir et à conforter le progrès des intelligibles personnels. Les contre-sens n'ont aucune gravité et les noms d'auteurs sont des effigies.
Parmi les sources, je voudrais mentionner l'Espace francophone jungien et les Cahiers Gaston Bachelard, ces derniers publiés par l'Université de Bourgogne. On y trouve tout sur les deux auteurs qui m'intéressent aujourd'hui et j'y ai glané l'essentiel de mes informations.
JUNG ET BACHELARD
Ma réflexion sur l'inconscient collectif et les archétypes, le seul sujet qui m'intéresse véritablement ici, me fait dériver insensiblement vers l'imagination et surtout vers l'imaginaire qui apparaît chez les deux auteurs comme le lieu de la conscience où se déposent, s'associent ou se dissocient, se transforment, le lieu où vivent les images une fois sorties de l'ombre. Chez Jung l'imaginaire est un espace psychique appelé à la structuration; il est nourri de symboles et de mythes et autonome par rapport à la perception sensible et aux affects. Chez Bachelard c'est un espace de créativité poétique et esthétique, mobile, perméable au vécu, de forte résonance intérieure.
Chez Bachelard encore, les archétypes ou images élémentaires (pour lui liés à la matière et aux éléments naturels) ont une ontologie forte tant qu’elles restent à l’état latent, mais elles perdent cette ontologie forte lorsqu’elles passent à la conscience et qu'elles sont vécues dans la rêverie. Elles relèvent alors de la phénoménologie (dans la définition relâchée que Bachelard adopte, voir plus bas). Chez Jung, au contraire, les archétypes conservent leur structure et leur fonction symbolique lorsqu’ils émergent dans la conscience.
Cette définition globale de l'imaginaire, largement partagée malgré les nuances, n'est pas la seule qui ait cours. Sartre (L'imaginaire, 1940) veille à donner une définition beaucoup plus rigoureuse du concept d'imaginaire avant d'en disserter. L'imagination sartrienne néantise le réel et substitue à l'objet de la perception un analogon autonome et dépourvu de réalité. Quant à l'imaginaire c'est, selon une stricte application de la phénoménologie de son inventeur Husserl, la visée intentionnelle de l'acte d'imaginer, en d'autres termes c'est le corrélatif noématique de l'imagination. Et comme si cela ne suffisait pas pour distinguer Sartre des deux autres, l'inconscient n'existe pas pour lui ! L'imaginaire n'est donc pas pour lui le lieu d'émergence à la conscience d'archétypes ou d'images primitives. On est à des années-lumière de Bachelard lui-même dont la définition de l'imagination paraît bien impressionniste en comparaison, quand elle n'est pas variable selon la nature du propos et l'évolution de la pensée dans le temps. Curieusement Bachelard se revendique également "phénoménologue" mais pour des raisons différentes de celles de Sartre. Cette appropriation me semble illégitime. J'essaie d'expliquer plus bas pourquoi.
Les valeurs sûres
Dans ce flou artistique, je m'en tiendrai à ces repères stables que sont l'inconscient et les archétypes (ou les images premières), notions qui m'intéressent au premier chef. L'inconscient me paraît bien défini car son corollaire, la conscience, l'est. Ces deux notions sont inséparables et se définissent l'une par rapport à l'autre de manière antithétique. Pas de conscience sans supposer un inconscient. L'inverse va plus de soi encore. Je retrouve la même évidence dans le couple matière - esprit. Par contre je cherche toujours l'antithèse de être, ce qui me fait douter du référent auquel ce mot se rapporte. Revenons à nos moutons: la conscience et l'inconscient sont donc deux compartiments perméables de l'esprit: l'inconscient est partiellement dévoilé par une démarche volontaire de la personne (par exemple dans le processus de psychologie analytique jungienne) ou par la réminiscence spontanée (Platon); inversement, le conscient devenu habitude vient prendre sa place, au nom d'un certain principe d'économie mentale, dans l'inconscient, ceci pour mieux revivre le moment venu, soit dans les réflexes spontanés soit dans le processus de création esthétique notamment (cf. De l'Habitude de Ravaisson).
On pourrait simplifier le tableau en décrétant que l'inconscient a une large base collective tandis que la conscience est uniquement personnelle. Mais donnant beaucoup de crédit à la notion de conscience partagée, voire universelle, je suspends provisoirement mon opinion sur ce sujet (voir la notion jungienne de Unus mundus dans Le lecteur et Jung (3)).
Les archétypes, quant à eux, peuvent être définis comme des principes transcendants, stables et collectifs, indépendants de l'expérience et qui, tout en structurant l'inconscient, sont capables de faire la navette entre lui et la conscience. Si la frontière entre l'inconscient et le conscient est perméable, la distinction entre le personnel et le collectif est, là encore, difficile à faire. La mobilisation des archétypes par les incitations de la vie, leurs associations avec les intelligibles, et les modes d'expression qu'on peut leur donner, relèvent évidemment de l'individu. C'est la fonction poïétique de l'âme que Bachelard appelle selon l'humeur imagination, rêverie ou poésie. Ce n'est pas exactement mon sujet pour l'instant mais je compte y consacrer tout le cycle 2.
La culture des archétypes
On pourrait dire que Jung (J) et Bachelard (B) avancent de front tout en convergeant insensiblement. Pour moi lecteur, m'intéresse leur conception commune non pas d'un inconscient collectif mais d'un inconscientisé susceptible de partage. Bachelard n'a d'ailleurs jamais vraiment adopté l'idée d'inconscient collectif, l'expression ayant été utilisée uniquement dans la Terre et les rêveries de la volonté et ceci au sujet de la pesanteur. Il s'agit dans les deux cas de mobiliser, par le désir ou par un mouvement spontané venu des profondeurs, des images premières, de les faire évoluer de manière à ce qu'elles prennent leur place dans la conscience pour concourir au développement de la personne dans un soi reconstruit et amplifié (J) ou pour procurer au rêveur une forme d'euphorie existentielle, née de sensations localisées et débordant, quand même, vers une forme de participation au cosmos (B).
Chez B les images premières précèdent l'humanisation puisqu'elles relèvent des éléments naturels (feu, eau, air, terre mais aussi espace et temps). On est tenté de les mettre en rapport avec la philosophie présocratique des ioniens mais ce serait un contre-sens, les images premières de Bachelard ne prétendant à aucune visée ontologique ni transcendante. Ce sont en tout cas les garde-fou qu'il s'impose. Elles n'ont même pas de statut transcendantal selon Kant puisqu'elles ne contribuent pas à structurer l'esprit humain. Par ailleurs ces archétypes sont tellement immémoriaux que, comme les dieux des religions polythéistes, ils semblent tombés sans retour du ciel et s'être s'installés définitivement dans la pure immanence. Chez J, au contraire, l'inconscient collectif est reconnu jusqu'à la réification; il subit la poussée formidable de toute l'histoire des héros, dieux et demi-dieux, mythes et symboles, entités transcendantes toujours à l'œuvre, attestées dans toutes les cultures de l'humanité et destinées à structurer les psychés. Cette complexité en impose, même si on limite les archétypes à ceux des religions de notre propre aire culturelle.
Les archétypes de J sont autonomes et indépendants de l'expérience individuelle puisque rattachés à une origine commune ou à une histoire collective immémoriale, mais on perçoit bien que la condition sine qua non à leur reviviscence dans l'âme individuelle c'est le contact avec certains évènement psychiques extérieurs. Les archétypes de Bachelard ne sont, quant à eux, pas autonomes du tout et cela suffirait à mettre en doute leur caractère véritablement archétypal, voire d'images premières. Chez B la sollicitation par le monde extérieur, la sensation, la mémoire et la rêverie de l'anima est tellement indispensable qu'on est autorisé à se demander si sa conception des images premières n'est pas purement mimétique, analogique, voire allégorique, si elle dépasse vraiment le champ de la création littéraire, ou, si l'on préfère, proto-littéraire.
Aussi bien chez J que chez B, l'écueil majeur consisterait à faire de l'inconscient un terrain objectif dans un domaine, celui de l'imaginaire, où l'objectivité ne peut avoir cours. Platon, en plaçant l'acte de réminiscence au sommet de sa théorie de la connaissance, ne faisait pas de ses formes archétypales, qu'on appelle aussi Idées, des objets mais des constituants intégraux du sujet, l'inconscience restant chez lui innommée. Si dans le discours théorique, J fait imprudemment de l'inconscient collectif un continent à part, susceptible d'objectivation, en pratique cependant, comme B avec la sensation, il le rattache toujours à une expérience intérieure, donc individuelle.
L'excès d'objectivation, de théorisation et d'acculturation de l'inconscient collectif est patent chez Gilbert Durand (1921-2012), disciple de Jung. Typique d'une démarche délibérément académique. Il s'agit surtout de faire plus et mieux que les prédécesseurs, au risque de dénaturer le sens initial et de ruiner le mystère. Dans le même esprit que l'anthropologie structuraliste d'un Lévi-Strauss, G. Durand semble faire de l'inconscient collectif un vaste système stratifié et ramifié réductible en un diagramme logique et détachable d'une expérience individuelle, un pur objet d'étude, un objet culturel. C'est d'ailleurs à ce titre qu'il m'intéresse.
Libres satellites
J'essaie maintenant de comprendre ce qui distingue Bachelard de Jung dans sa vision du soi ou de l'âme personnelle.
Jung définit le Soi comme le centre régulateur de la psyché, englobant à la fois le conscient et l'inconscient. Dans sa psychologie analytique, le soi est l'objectif du processus d'individuation, qui vise à intégrer les opposés psychiques et à harmoniser les différentes dimensions de l'être. Jung distingue les fonctions rationnelles (pensée et sentiment) et les fonctions irrationnelles (sensation et intuition), et il considère que la connaissance véritable passe par une transformation intérieure et une rencontre avec le soi.
Chez Gaston Bachelard, la notion de soi est profondément liée à sa distinction entre l'esprit rationnel et l'imaginaire irrationnel. Il ne conceptualise pas le soi comme une entité psychologique stable, mais plutôt en perpétuelle transformation à travers la dialectique entre rationalité scientifique et imagination poétique. Son approche met en avant une dynamique où le sujet se construit en intégrant les dimensions oniriques et créatives.
Il y a une donc différence majeure entre Bachelard et Jung dans la conception du soi : Bachelard le voit comme une construction évolutive entre rationalité et imaginaire, tandis que Jung le conçoit comme une totalité psychique à atteindre (ou à retrouver) par l'individuation. Bachelard insiste sur la dynamique du savoir et de l'imagination, alors que Jung met l'accent sur l'intégration des opposés et la structuration du psychisme à travers les archétypes et l'inconscient collectif.
Bachelard prend soin de rejeter les éléments du soi jungien qui s'inscrivent dans une perspective métaphysique et mystique. Il refute toute conception réiste du soi, ainsi que toute essence fixe et définitive. Il voit le sujet comme un être en perpétuelle transformation, façonné par deux facultés cohabitant en lui mais n'interagissant que de manière dialectique: une rationalité ouverte basée sur l'expérience et une imagination créative suscitée par la perception et la mémoire. De plus, sa réserve vis-à-vis de la mystique le conduit à se méfier des dimensions irrationnelles du soi jungien, notamment celles qui associent le soi à un symbolisme archétypal ou à des expériences numineuses.
On doit aussi aborder l'unité du soi chez Bachelard sous un angle existentiel en s'appuyant sur sa conception du temps et des rythmes vitaux. Contrairement à Jung, qui conçoit le soi comme une totalité en attente de réalisation à travers l'individuation, Bachelard propose une vision du sujet fondée sur une temporalité discontinue et rythmée.
Dans La Dialectique de la Durée, Bachelard critique la conception bergsonienne d'un temps continu et fluide, lui opposant une temporalité faite de ruptures et de reprises. Il met en avant une "rythmanalyse" où le sujet se construit à travers des alternances de moments d'arrêt et de mouvement, ce qui confère à l'existence une dynamique propre, loin d'une unité figée. Cette approche permet de penser le soi non comme une totalité préexistante, mais comme une œuvre en devenir, façonnée par les rythmes de la pensée, de l'affectivité et de l'imaginaire.
De plus, Bachelard distingue plusieurs types de temporalités, notamment un "pluralisme temporel" où chaque fonction psychologique possède son propre rythme. Cette multiplicité temporelle suggère que l'unité du soi ne repose pas sur une intégration harmonieuse des opposés (comme chez Jung), mais sur une articulation fluide entre différentes temporalités internes. Ainsi, le soi bachelardien pourrait être défini comme une unité existentielle fondée sur la discontinuité et les rythmes vitaux, plutôt qu'une totalité psychique à atteindre.
L'alternance des conceptions permet de tout concilier. Je ne choisis pas. C'est mon principe. La pensée ne tient pas à nous comme un organe, mais comme un vêtement, une modalité d'être. Quand même, il me semble possible d'inventer un modèle du Soi où Jung apparaît compatible avec Bachelard. Le mandala est trompeur car il rassemble impitoyablement le Soi jungien autour d'un centre, protégé par son cercle et ses quatre sommets. Certes, l'on sait que ce Soi jungien a pris sa part du monde, qu'il n'est pas ridiculement réduit à l'égo. L'on sait aussi qu'il rassemble les opposés dont nous sommes perpétuellement porteurs. Mais dans ce schéma passablement figé : où sont donc nos sois de circonstance, ceux qui s'imposent successivement à nous, pour le meilleur et pour le pire, ceux avec lesquels nous vivons concrètement ? Les sois de circonstance ne portent pas que des valeurs négatives, loin de là. Ainsi des sois bachelardiens, portés par le temps, l'espace et les quatre éléments, et qui doivent être respectés dans leur dimension mouvante, jaillissante, naïve, spontanée. Ils pourraient prendre leur place comme libres satellites du soi dans des formes de mandalas cinétiques (voir en-tête).
Phénoméniste
Pourquoi prendre Bachelard au mot lorsqu'il dit - à l'envi - se rallier à la phénoménologie ? Ce mot est tellement connoté, philosophiquement et même techniquement (à la suite de Husserl et de ses suivants directs) que la discussion sur le spécificités de l'approche phénoménologique chez Bachelard me semble vaine. Après interrogation des bases de données, il semble que Bachelard n'ait écrit qu'une seule fois le nom de Husserl dans ses essais sur les éléments naturels. C'est toujours en physicien que Bachelard parle du phénomène, à la suite de Kant. C'est donc avant tout un phénoméniste, soucieux d'éviter tout excès de pensée d'ordre métaphysique, ontologique ou en rapport avec la causalité (exemple: les archétypes comme cause des images). Conformément au dictionnaire Lalande, je distingue bien ici le phénoménisme - doctrine selon laquelle il n'existe que des "phénomènes" pris au sens kantien du terme - au réductionnisme sensualiste. Jamais Bachelard n'aspire à quelque chose qui ressemblerait à une essence eidétique des images. Il fait même abstraction de ce qui constitue l’originalité de l’approche husserlienne — en particulier l’intentionnalité — qu’il remplace par une dynamique issue de la dialectique entre deux cogitos, celui du rêveur et celui du raisonneur.
Le phénomène comme fait empirique s'opposant à "la chose en soi" est d'ailleurs selon moi le trait d'union entre les conceptions de Bachelard sur l'imagination, d'une part, et sur l'épistémologie scientifique, d'autre part. Dans cette dernière le phénomène que constitue le fait scientifique empirique est le produit élaboré de techniques et d'une rationalité ouverte, débarrassée, autant qu'il se peut, de l'adhésion au "noumène" tel que défini pat Kant. C'est aussi bien le trait dominant de sa conception de l'imagination: il n'existe pas de réalité ultime, originaire, inaccessible dont le fait scientifique ou l'image onirique serait un témoignage imparfait ou approché. Tout relève d'une construction humaine, liée aux facultés de l'esprit et à l'expérience. Dans son cogito de rêveur, il relève l'importance du substantialisme d'Aristote et de celui des alchimistes, mais il l'exclut de son cogito scientifique. Par contre, dans aucun des deux cogito on ne trouvera d'ontologie forte ni de notions transcendantes; il se garde d'introduire aucune métaphysique, ni spiritualité.
En résumé la rationalité scientifique comme l’imagination poétique peuvent être comprises comme deux modalités d’une phénoménalité diversifiée, sans qu’il soit besoin de recourir à un arrière-monde nouménal ou à une ontologie substantielle. Ainsi, Bachelard ne détourne pas le regard du phénomène — il en fait le lieu même où la pensée se construit, s’affronte à ses propres limites, et affirme sa puissance d’invention.
Les archétypes cosmologiques
Dans cette comparaison entre Bachelard et Jung, j'ai l'impression d'être entré dans des subtilités sur l'imaginaire et la phénoménologie qui sont peu utiles pour mon objectif. Mon propos, faut-il le rappeler, se limite à comprendre les grands mouvements de la pensée des auteurs, ce en quoi ils représentent des types, des repères. Puis de prendre mon parti, de choisir ce que je retiens de l'un ou de l'autre. C'est pourquoi sont utiles ces comparaisons entre des auteurs choisis par affinité.
En fin de compte seuls m'intéressent ici, dans le cadre de mon projet personnel, les notions d'archétypes et d'inconscient collectif (voir mon programme). Deux points déterminants chez Jung et qu'on pourrait trouver subsidiaires chez Bachelard qui se réfère bien ici à Jung, mais souvent du bout des lèvres. Je lui reproche ce manque d'engagement. Pourquoi ? En premier lieu parce que structurer l'imaginaire personnel, ou l'intelligence qu'on peut en avoir, sur les éléments naturels (feu, eau, air, terre), en isoler des images primordiales et trans-individuelles capables de le structurer en "complexes", même de manière locale et éphémère, c'est établir une filiation directe entre le cosmos et nous, c'est suggérer de manière convaincante la réalité d'une empreinte de ces éléments dans la psyché humaine indépendante de l'expérience immédiate.
Je reproche à Bachelard de n'avoir pas voulu enrichir, à la suite de Jung, la notion d'archétype en lui adjoignant la notion d'archétype cosmologique ou, plus modestement, d'archétype matériel (ou substantiel). Tout le matériel de base a été patiemment récolté mais la synthèse n'a pas suivi. Cette timidité est étrange, et - pourquoi ne pas le dire ? - insatisfaisante comparée à l'audace de Jung. Il a préféré rester sur le seuil alors qu'on trouve à plusieurs reprises dans ses essais l'expression de "devenir cosmologique des images". Il y voyait un devenir mais en refusait une origine.
Pourtant Bachelard, avec la théorie si convaincante de l'obstacle substantialiste, au cœur de son épistémologie de la chimie et de la physique, a montré à quel point il croyait empreinte dans la psyché humaine, au niveau collectif et même contre l'expérience, contre l'évidence expérimentale, contre le témoignage des sens, à quel point il croyait empreinte dans la psyché humaine, disé-je, l'histoire immémoriale de l'homme au prise avec les quatre éléments. Il en a fait un obstacle essentiel du côté de la science et un simple motif de rêverie du côté de l'existence. Il n'a pas voulu faire le lien, l'unité. Il a laissé un vide à remplir après lui, d'après lui. Et bien soit, je le remplirai quand viendra le temps de ma synthèse Bachelard. Bientôt.
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Je suis resté sur ma faim dans cette comparaison entre Jung et Bachelard, tout cela parce que Bachelard, trop pusillanime, nous demande de prolonger sa pensée et de prendre les risques à sa place. Je ne faillirai pas à la tâche le moment venu. Dans l'immédiat, il me tarde de passer au dialogue entre Jung et Pauli sur les grandes interrogations concernant la nature du monde, pas moins. Cela me permettra de faire la liaison avec d'autres physiciens philosophes (ou inversement) engagés dans cette voie périlleuse (comme Bitbol et d'Espagnat, mais pas seulement eux) et, par leur médiation, vers les philosophies orientales. Le 3ème billet sur Le lecteur et Jung fera l'objet d'un essai sur le thème plus général du besoin de croyance, thème à la fois universel et personnel. Il me faudra sans doute beaucoup de temps pour en faire autre chose qu'un recueil de lieux communs sur le monisme et ses variations.